Une Bérénice sans artifice
- ruedutheatre
- 23 avr.
- 3 min de lecture
Bérénice - Théâtre du Nord - L’Idéal
Par écologie, économie ou autre, on crée du chocolat sans cacao, des apéros sans alcool ; voici du théâtre sans théâtre !
Si la pièce de Racine date du XVIIe, son intrigue, simple et ordinaire, se vérifie, aujourd’hui comme hier, comme demain, dans tous partis, états, royaumes, empires. Elle est donc intemporelle.
Titus, futur empereur romain, et la reine palestinienne Bérénice s’aiment. Un vrai et bel amour. Une loi étant ainsi établie, cet amour déplaît autant aux autorités qu’au peuple. L’amant de Bérénice, poussé par son confident à se soumettre à son devoir, demande à son ami Antiochus d’annoncer à la reine la fin de son couple. La dite-étrangère, aimée aussi secrètement par Antiochus, a du mal à accepter cette rupture. Comment peut-on séparer deux êtres qui s’aiment intensément et profondément ?
Aucun décor si ce n’est qu’est posé sur le plateau un second plateau d’une trentaine de centimètres de hauteur, sorte de damier en bois aux reflets dorés. L’optique choisie par le metteur en scène, Jean-René Lemoine, est de se concentrer sur le texte, un récit en cinq actes comportant plus de quinze cents alexandrins. Cependant aucune grandiloquence ni effet de voix, de rarissimes changements de rythme, très peu de respiration. Le texte pour le texte.

À se demander si les comédiens, habillés sobrement, tenues non datées, sont habités par les mots puisque leur corps ne traduit quasi aucune émotion. La musicalité des douze pieds est cependant perceptible et en permanence respectée. Cela reflète un réel travail, un travail technique rigoureux. Pourquoi dès lors cette rigueur n’est-elle pas appliquée aussi à une des règles les plus élémentaires de diction : à savoir marquer la différence entre un e fermé (é) et un e ouvert (è) ? Pour rappel, la finale ‘et’ d‘un mot et celle des verbes à l’imparfait sont e ouvert. Il est donc à regretter que nombre d’entre elles sont imparfaites ! Si le spectateur non spécialiste ne le remarquera guère, le passionné de la langue aura, lui, un peu mal aux oreilles, pareil à un musicien quand il entend une fausse note.
Ceci n’empêche aucunement de percevoir, une fois de plus, combien, depuis que le monde est monde, pouvoir / amour et occident / orient sont difficilement conciliables. Combien le rôle des confidents, appelés aujourd’hui conseillers, avec peu d’arguments mais des phrases-chocs, est lourd de conséquence. À eux revient le pouvoir d’influence sur le monarque, le souverain. Le dirigeant, seul avec lui-même, reste cependant étonnamment lucide, se pose les bonnes questions, se rend compte qu’il œuvre sans cesse à son propre malheur mais il ne peut, ne parvient pas à inverser, à arrêter la mécanique légale.
Une représentation presque radiophonique à grande portée symbolique durant laquelle on ne décroche pas tant elle parle de nous et des nôtres. Comme le dit le dernier mot de la tragédie : « Hélas ! »
Isabelle SPRIET
Tourcoing, 23 avril 2025
Texte : Racine
Avec : Marc Barbé, Nicole Dogué, Jean-Christophe Folly, Jan Hammenecker, Marine Gramond, Jean-René Lemoine, Makita Samba
Metteur en scène : Jean-René Lemoine
Dramaturgie : Laure Bachelier-Mazon
Scénographie : Christophe Ouvrard
Lumières : François Menou
Son : Xavier Jacquot
Costumes : Clément Desoutter
Photo : DR
A voir jusqu’au 25 avril à Tourcoing (Théâtre du Nord - L’Idéal)
En tournée : 13 au 14 mai 2025 Théâtre de la Ville de Pau
Comparer avec notre article sur "Bérénice des quartiers" : Une Bérénice pleine d'avenir
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