Réussite théâtrale pour fiasco judiciaire
- ruedutheatre
- 11 juil.
- 3 min de lecture
C.R.A.S.H. – Théâtre des Carmes Benedetto – 19h50
Une heure et vingt minutes pour mettre en lumière l’emballement politique et médiatique autour d’une « affaire » judiciaire qui n’aurait jamais dû en devenir une. Une création qui commence comme un documentaire et finit dans une explosion à la Tarentino pour dénoncer, avec maestria, un pur fiasco politico-judiciaire.
Novembre 2008. Au cours de la nuit du 7 au 8, des caténaires sont sabotées sur des lignes TGV en Ile de France et dans le Nord. Aucune revendication claire ne sera jamais formulée, même si l’hypothèse d’une action écologiste anti transports de déchets nucléaires demeure fortement crédible. Les services secrets et les politiques quant à eux en sont sûrs : c’est un coup d’activistes d’ultra gauche. De dangereux terroristes qu’il convient de maitriser. L’ordre de la nation en dépend. Trois jours plus tard, au petit matin de la commémoration de l’armistice de 1918, dix personnes, désignées sous le terme de « groupe de Tarnac » sont arrêtées par la police antiterroriste. Suivront dix ans de procédure, de filatures, de mise en examen. Au terme desquels la relaxe sera prononcée.
C’est donc cette affaire que la compagnie Hors Jeu a choisi de refaire vivre, dans l’ambiance sécuritaire caractéristique de la période. Accueil souriant d’une escorte de gendarmes à l’appui. Présidente de la Cour, avocat, procureur et substitut, prévenus, tous les protagonistes sont en scène. Dans un tribunal de cartons. De déménagements et d’archivages de dix longues années d’instruction.

La minute du procès semble presque suivie à la lettre. Dynamisée par les changements de costumes des comédiens qui incarnent tous une kyrielle de rôles. Avec brio. Petit à petit, l’audience et ses codes laissent place à des pauses, des intermèdes de vie du tribunal, des mis en causes ou de leurs soutiens. La trame narrative se découpe entre témoignages et flashbacks, avec notamment la dénonciation d’un emballement médiatique aussi excessif qu’orienté. La parole comme les personnages se fragmentent, pour mieux démontrer la vacuité des dossiers. L’évidence des ficelles tirées par des politiques soucieux de prouver leur action. La fragilité de certains témoignages. Et l’ensemble dérape, de raps en combat de katanas en plastique. De caricatures en imitations (auxquelles on n’adhère pas forcément). De sérieux en délire. Et de délire en réalité.
Et le glissement n’a rien d’anodin. Il met en lumière la manière dont l’affaire dite de Tarnac a été déformée, amplifiée, instrumentalisée. Il montre comment une politique sécuritaire peut conduire à faire d’un grain de sable un élément matériel. Et d’un élément matériel une supposée preuve. Qui peut broyer des existences. Il montre aussi que la justice doit pouvoir continuer à faire son œuvre. Dans le respect absolu de son indépendance. Malgré des moyens qui se réduisent à peau de chagrin, comme le dénonce notamment la scénographie.
Non seulement le message est défendu avec beaucoup d’énergie par la compagnie, mais Sophie Lewish, en vraie femme-orchestre, accomplit la prouesse d’associer humour, engagement citoyen et histoire contemporaine dans une même dynamique de qualité. Mise en scène, jeu, texte et dramaturgie compris.
Karine PROST
Avignon, 11 juillet 2025
Photo © compagnie Hors Jeu
Écriture et mise en scène : Sophie Lewisch
Dramaturgie : Mariette Navarro
Avec : Nadine Bechade, Emmanuel Bodin, Florentin Martinez, Charles Pommel,Sophie Lewisch
Scénographie : Sylvain Descazot
Création Son : Samuel Bourdeix
Création Lumières : Vincent Carpentier
Costumes : Noémie Laurioux & Sandra Besnard
Graphisme : Camille Ulrich
Collaboration artistique : Charles Pommel




Commentaires