Théâtre mémoire, théâtre pauvre, théâtre pur
- ruedutheatre
- 14 juil.
- 3 min de lecture
Festival In 2025 – Les Perses – Jardin de la rue de Mons, Maison Jean Vilar – 1h15
(jusqu’au 25 juillet, pas joué le 21)
La symbolique est forte : reprendre un des plus anciens textes de tragédie grecque joué dans le premier théâtre du monde, théâtre de Dionysos à Athènes, au flanc de l’Acropole, et le réinterpréter dans le jardin de la Maison Jean Vilar, fondateur du festival d’Avignon mondialement connu.
Comme en 472 avant Jésus-Christ, les spectateurs sont dehors, assis sur des gradins, non plus en pierre mais en plastique, la scène devant eux, à même le sol. L’aire de jeu est symbolisée par deux cercles blancs imbriqués tracés à la chaux. L’imbrication faisant aussi référence à l’envahissement puisque, force est de constater, plus de deux millénaires passés, après moultes batailles et guerres engendrant des dizaines de millions de morts, les leçons ne sont toujours pas tirées. L’esprit belliqueux et orgueilleux de l’Homme prime encore et toujours, supplantant la raison au second plan.
Arrivent les quatre interprètes, groupés, marchant à la même cadence, suivant les lignes tracées, marquant ainsi leur empreinte, leur présence. Si nous n’étions dans un lieu culturel, ce quatuor serait exactement semblable aux quidams croisés dans les ruelles de la Cité des Papes ou de n’importe quelle ville, de Brest à Athènes en passant par Berlin !

Habillés comme tous les jours, avec simplicité et conviction, ils incarneront les personnages et le chœur antiques décrits par Eschyle qui relate la victoire grecque contre l’empire perse, la victoire d’un peuple moins nombreux mais libre contre les « barbares ». Impossible de ne pas penser à ce qui se passe aujourd’hui à la porte de l’Europe.
Ce qui est intéressant c’est qu’Eschyle, auteur grec, qui aurait participé à cette bataille de Salamine, se penche plus sur les perdants, le roi Xerxès, que sur les vainqueurs. Le metteur en scène, Gwenaël Morin, est très attaché – et donc très fidèle – au texte et à l’époque. Il fait preuve d’une grande honnêteté intellectuelle, au point de préciser, à un moment donné, que la pièce s’interrompt car une partie du manuscrit manque. Aucune triche, aucun effet spectaculaire, aucun décor, aucune amplification sonore ; juste les voix travaillées et chantées, une flûte et un tambourin. Le respect dans toute sa grandeur.
Bien sûr, il est parfois un peu difficile de saisir entièrement ce qui est dit en monologue ou sur un air musical, chanté en duo ou ensemble. Pas grave. L’émotion est présente et va crescendo. Les répliques de l’ombre de l’ancien roi Darios, père de Xerxès, et de sa mère, font mouche, percutent tant elles sont encore d’une telle justesse et d’une actualité plus que brûlante.
Puisse, de grâce, parvenir aux oreilles des soi-disant grands de ce monde, de l’Occident à l’Orient, ce conseil donné par Eschyle : « Il ne faut pas mépriser la fortune qu’on a, et, dans sa convoitise de celle d’autrui, dissiper sa propre richesse. Zeus est plus grand que nous, il punit les pensées trop hautaines et sa justice est lourde. Vous, maintenant qu’il est nécessaire d’être sage, secourez Xerxès de vos prudents avis, et faites qu’il cesse d’être fou d’audace et d’orgueil. »
On ne peut également s’empêcher de se rappeler, par exemple, les vestiges détruits par les djihadistes de l'Etat islamique en Syrie (à Palmyre notamment), et de pleurer quand cette réplique raisonne près du Palais et de l’Opéra : « Ils ont anéanti les autels, ils ont renversé les sanctuaires, et ils en ont dispersé au hasard les pierres brisées. Donc, ils ont mal agi… »
Isabelle SPRIET
Avignon, 14 juillet
Photo © Christophe Raynaud de Lage
Avec Jeanne Bred, Fabrice Lebert, Gilféry Ngamboulou et Julie Palmier
Adaptation, mise en scène et scénographie Gwenaël Morin
Assistanat à la mise en scène Canelle Breymayer
Lumière Philippe Gladieux
Régie générale Loïc Even




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