Le Girl Power démarre en trombe
- ruedutheatre
- 14 oct.
- 2 min de lecture
Dans le vaste hangar du City Dépôt de Charleroi, une mini voiture tunée fait son entrée au son des Mots bleus de Christophe. Le contraste entre la poésie de la chanson et l’univers du lieu donne immédiatement le ton : Heavy Motors, création de la Société Protectrice de Petites Idées, sera un spectacle décalé et inattendu.
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Trois personnages investissent ce parking scénique : un homme, sûr de lui, et deux femmes, reléguées au second plan, silencieuses et en léger décalage. Ensemble, ils rejouent un rodéo urbain artisanal, mêlant cascades, gymnastique rythmique, danse, acrobaties, quick change et pyrotechnie. Mais derrière cette loufoquerie se dessine une lutte de pouvoir : qui tient vraiment le volant ?
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En effet, sous ses airs de farce, cette production interroge la place des femmes dans une société encore marquée par le patriarcat. Le tuning, art de la transformation et de la réappropriation, devient ici la métaphore d’une émancipation progressive. D’abord, l’homme, figure de mâle alpha, occupe tout l’espace, donne les ordres et impose son savoir mécanique. Mais peu à peu, les femmes reprennent du terrain : elles l’imitent, l’égalisent, puis l’enferment dans le bolide, brandissant des clés dorées comme puissance réaccordée. L’allégorie ne se limite pas à trois figures : elle en compte cinq, puisque la voiturette et la voix de Christophe s’affirment, elles aussi, comme des entités dramatiques à part entière durant toute cette création.

La reconquête féminine est renforcée par un motif récurrent : celui du chat, peluche extraite violemment de la gorge des comédiennes, représentation saisissante de la parole étouffée qu’il faut expulser pour retrouver souffle et liberté. De plus, à un autre moment, l’une des comédiennes crache du sang après une blessure. Cette image crue, à la fois intime et symbolique, peut évoquer les menstruations autant que le combat, rappelant que la libération passe aussi par l’acceptation d’une vulnérabilité transformée en force.
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La progression dramatique trouve son apogée dans une scène finale particulièrement marquante. L’une des protagonistes s’empare du micro pour chanter Aline de Christophe, transformant la mélancolie du chanteur en un véritable cri de résistance, interprétation bouleversante empreinte de gravité.
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Le jeu des comédiens repose sur le surjeu et la caricature, choix assumé qui provoque des réactions vives dans la salle : rires, applaudissements, exclamations. Certes, cette énergie communicative emporte le public, mais cette intensité, parfois excessive, aurait gagné à être ponctuée de pauses poétiques, à l’image du dernier tableau où l’émotion prend enfin le pas sur la dérision.
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Au final, Heavy Motors s’impose comme un spectacle original, drôle et percutant, qui détourne l’arène des moteurs en une fable féministe et burlesque. En quittant la salle, ce sont les mots de la nouvelle chanson « Ce qu’on devient » de Feu! Chatterton qui font écho : « On peut reprendre le cours de nos vies, reprendre la clé plongée dans le puits »…
Julien LALOY
Charleroi, 14 octobre 2025
Durée : 50 minutes
Compagnie : Compagnie Société Protectrice de Petites Idées
Artistes / co-auteurs : Nanda Suc, Aude Martos, Federico Robledo
Lumière : AlethDepeyre, Loïc Chauloux
Musique : Tête Molle
Costumes : FHéloïse Calmet, Aude Martos, Nanda Suc, Federico Robledo
Conception mécanique : Ronan Ménard, Loïc Chauloux
Son : Maël Bellec
Photo © :sppi_2000
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Dates de la tournée 2026 à suivre sur :
