Monarques : une symbolisation royale pour une double réalité
- ruedutheatre
- 17 nov.
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 18 nov.
L’évidence d’une double odyssée va nous sauter aux yeux. Un metteur en scène, ayant puisé dans son moi sensible et artistique, a transposé sur un plateau de théâtre le parallélisme entre deux mouvements migratoires : celui des monarques, non-humains, papillons diurnes, et celui des Mexicains.
Dès l’entrée dans la salle, nous sommes impressionnés par le rideau de scène. Il est couleur terre, taupe. Comme pour une gravure, on y distingue une sorte de passe-partout avec, à l’extrémité, côté jardin, une étroite bande plus lumineuse, plus verdoyante, sur laquelle sont peints deux insectes hybrides. La tête, le thorax et l’abdomen sont devenus squelette humanoïde ; les ailes rappellent celles des papillons.
La représentation débute et le rideau sert d’écran pour suivre un reportage sur les monarques, leur migration, leur extinction. Sauf que nous ne sommes pas à la maison mais au théâtre et que l’aspect documentaire se conjugue avec la sincérité, la sensibilité, l’empathie, la poésie qui habitent le narrateur (on pense reconnaître la voix sensuelle du metteur en scène également auteur).
Pendant plus d’un quart d’heure, nous sommes captivés par l’histoire vraie, touchante, édifiante qui nous est racontée et par les images montrées. Des passionnés amoureux de cette espèce de papillons capables de parcourir 5000 km, traversant tempêtes, frontières et pesticides, en ont attrapé des centaines, les ont tagués, parfois réparés afin de tisser des liens invisibles. Un parapentiste, il y a quatre ans, lui aussi subjugué par ces lépidoptères, s’est envolé avec eux afin de les accompagner jusqu’à leur sanctuaire, une forêt de sapins sacrés dans les montagnes du Mexique, Etat vampirisé par un certain Donald Trump.
Contrairement au mur érigé par le président états-unien, le rideau tombe et un train de marchandises, grandeur nature, avec des migrants par-dessus, est face à nous. Ce convoi est dénommé « La bestia », la bête, tellement il est périlleux, dangereux pour des réfugiés d’Amérique du Sud et d’Afrique de grimper clandestinement dessus. Une autre stupeur nous envahit. Les mots se font rares. Seuls des tableaux vivants estampillés par la solitude, la détresse, la misère, la mort défilent.

Jean-Ems-Marie-Louise et Odille Lauria incarnent à eux deux ces cohortes d’êtres humains diminués, meurtris, anéantis puisant dans leur ultime ressource la force de fuir, avec l’espoir de s’installer dans une contrée où les conditions de vie sont, dans leur esprit, à première vue, meilleures. L’engagement et la performance physique des deux acteurs sont aussi crédibles que bluffants. Lui parce qu’il est manchot et porte sur le dos un ami muni d’une prothèse de jambe, symbolisé par une marionnette à taille humaine. Elle, parce qu’elle est enceinte et sur le point d’accoucher. Ils jouent l’épuisement, la peur, la situation plus qu’apocalyptique. Ils évoquent leurs personnages relégués en haut d’un wagon, qui néanmoins s’épaulent et parviennent encore à développer leur imaginaire. Seule et dernière richesse que l’être humain possède quand il a tout perdu et qui lui permet de survivre.
Emmanuel Meirieu nous offre un théâtre engagé où l’importance, l’urgence du message à transmettre, l’émotion dégagée ne viennent pas de longues tirades vociférées ou de témoignages partagés mais de la lenteur et de l’intensité du jeu corporel des interprètes à la présence scénique remarquablement maîtrisée. Cette exigence transparaît également dans les costumes, les maquillages, les accessoires donnant à l’ensemble une cohérence qui tient la route et ne déraille à aucun moment. De haute envolée à l’image du tableau de la toute fin.
Isabelle SPRIET
Lille, 17 novembre 2025
Photo (c) DR
Texte : Emmanuel Meirieu, Jean Erns-Marie-Louise, Julien Chavrial, Odille Lauria
Distribution : Julien Chavrial, Odile Lauria, Jean-Erns Marie-Louise
Décor : Seymour Laval, Emmanuel Meirieu
Sculptures, marionnettes, mannequins, accessoires : Emily Barbelin
Son et musique : Félix Muhlenbach
Costumes : Moïra Douguet
Lumière : Seymour Laval
Construction décor : Atelier du Théâtre du Nord
Régie plateau : Camille Lissarre, Jérémie Angouillant
Production : Le Bloc Opératoire
En tournée :
21.11.2025 Le Vallon Landivisau
16>21.01.2026 Théâtre des Quartiers Ivry-sur-Seine
29-30.01.2026 MC2 Grenoble
26-27.03.2026 Théâtre Aurillac
02.04.2026 L’Estive Foix
08>11.04.2026 Festival Mythos Rennes
22>26.04.2026 Théâtre des Célestins Lyon
28-29.04.2026 CDN Rouen
05-06.05.2026 Le Volcan Le Havre
19-20.05.2026 Le Bois de l’Aune Aix-en-Provence
21.05.2026 Le Tangram Evreux
26.05.2026 Anthéa Antipolis Antibes
